Chauffeurs de VTC: indépendants ou salariés déguisés ?

Chauffeurs de VTC: indépendants ou salariés déguisés ?

Le 3 novembre a eu lieu l’audience devant le conseil de prud’hommes d’un chauffeur qui accuse LeCab, une plateforme de VTC française, de l’avoir traité comme un salarié et non comme un indépendant. Le jugement pourrait être pris comme référence dans les autres affaires de ce type. Nous avons assisté à l’audience.

Un “lien de subordination“. L’expression est au cœur d’un combat juridique qui pourrait bien remettre en cause la manière dont les plateformes de VTC comme Uber fonctionnent en France. Mardi 3 novembre à 16h s’est tenue l’audience aux prud’hommes d’un chauffeur français qui demandait la requalification de son contrat avec la plateforme de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) française LeCab.

“Mon client a souhaité défendre ses droits parce que la situation dans laquelle il a été placé par l’application répondait aux critères du salariat. Nous expliquerons lors des plaidoiries que les contraintes imposées à mon client étaient incompatibles avec le statut d’auto-entrepreneur”, expliquait mardi matin auxInrockuptibles son avocat, Me Arthur Millerand.

L’homme, qui souhaite garder l’anonymat, était conducteur de taxi avant de devenir chauffeur de VTC pour augmenter ses revenus. La plateforme qu’il poursuit en justice lui aurait imposé, d’après son avocat, “un contrat d’exclusivité” qui l’empêchait de travailler avec une autre entreprise de mise en relation entre chauffeurs et clients. “Lorsqu’un travailleur est dépendant d’un unique donneur d’ordre, il peut déposer une demande aux prud’hommes pour une requalification en contrat de travail”, nous indiquait en juin dernier Evelyne Serverin, juriste et sociologue, chercheur au Centre d’études de l’emploi.

Le contrat qu’avait signé le chauffeur avait à l’époque pour titre “adhésion exclusive au système“, comme l’a souligné Me Millerand pendant l’audience. Depuis, ce contrat a été modifié (“à la demande des chauffeurs de LeCab” a insisté l’avocat de la défense Me Philippe Lepek) pour permettre aux conducteurs de pouvoir travailler avec d’autres plateformes de VTC comme Uber.

Quelles conséquences pour quel jugement ?

Aujourd’hui, le chauffeur ne travaille plus avec cette plateforme, mais continue d’exercer sa profession avec d’autres applications “qui respectent son indépendance“, souligne Me Millerand. A l’issue de l’audience, les quatre juges devront se prononcer sur le lien qui unit le chauffeur et la plateforme concernée. S’ils établissent un lien de subordination, le chauffeur sera considéré comme salarié de l’entreprise, ce qui implique notamment de percevoir un salaire, de disposer de congés et de voir ses heures supplémentaires payées. L’entreprise pourrait ainsi être forcée de verser rétroactivement des indemnités à son chauffeur en fonction du temps qu’il a passé à travailler pour elle (ici, plusieurs dizaines de milliers d’euros).

Alors que le conducteur a expliqué qu’il ne pouvait pas travailler avec d’autres plateformes de VTC, l’avocat de LeCab Me Philippe Lepek a insisté sur la liberté dont il disposait dans ses heures de travail (“les chauffeurs peuvent faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent, ils sont libres de se connecter à la plate-forme“) ainsi que sur sa possibilité de prendre des clients personnels à son compte, prenant l’exemple d’un chauffeur “qui transporte des anciens ministres à son compte” et qui utiliserait la plateforme LeCab lorsqu’il “a du temps libre“.

Le 20 octobre dernier, un chauffeur qui travaillait avec la célèbre plateforme Uber avait déjà décidé de porter plainte contre l’entreprise américaine auprès du conseil des prud’hommes de Paris, comme l’a rapporté l’AFP. S’il n’y a pas de contrat d’exclusivité entre Uber et ses chauffeurs, l’avocat du plaignant Maître Erol Demir avance qu’il existerait tout de même un lien de subordination entre les deux, car “les chauffeurs ont l’obligation de se connecter, il y a un prix minimum garanti, ils doivent accepter 90% des courses et obtenir un taux de satisfaction important sous peine d’être rayés des listes d’Uber, il y a tout de la relation de travail classique”.

Un porte-parole d’Uber France, contacté dans la foulée par Libération, s’en est défendu, soulignant qu’il n’y avait “aucune exigence d’exclusivité” entre le chauffeur et Uber. Selon la multinationale, le chauffeur aurait profité d’une récente décision de Uber, qui a baissé ses tarifs de 20% à Paris début octobre, de “garantir le chiffre d’affaires [des chauffeurs] pendant six semaines à partir du moment où ils ne refusent pas de courses et roulent un minimum“. Cette garantie constituerait, selon le chauffeur, un lien assez fort pour justifier d’un statut de chauffeur salarié et non d’indépendant.

Un premier syndicat de chauffeurs de VTC appelé Unsa SCP-VTC a même été créé, lundi 2 novembre, pour dénoncer une situation de “salariat déguisé” et une “indépendance fictive” des conducteurs, comme l’a précisé Sayah Baaroun, secrétaire général de Unsa SCP-VTC, dans un point presse auquel a assisté l’AFP. Il a insisté sur la récente baisse des tarifs d’Uber, qui aurait forcé les applications à se livrer une “guerre des prix” sans que les chauffeurs, pourtant indépendants, n’aient leur mot à dire.

Pas de jurisprudence mais une possibilité de précédent 

Dans les deux plaintes des chauffeurs français décrites ci-dessus, le jugement du conseil des prud’hommes ne peut avoir valeur de jurisprudence. Même s’ils gagnent, les plaignants n’auront gain de cause que dans leur cas particulier. En revanche, le jugement (qui sera rendu le 11 décembre prochain) peut faire office de précédent en la matière, et ses critères pourront être réutilisés dans de futures affaires similaires.

De là à inquiéter les plateformes françaises de mise en relation entre chauffeur et clients? Yannis Kianski, cofondateur d’AlloCab, affirme que son entreprise n’a été la cible d’aucune plainte de chauffeur en France, et qu’il n’y a pas de risque qu’elle le soit. “Nous avons une vraie relation commerciale avec les chauffeurs”, souligne-t-il, l’opposant au “contrat de travail” qui unit une entreprise et ses salariés. Pour se protéger, il insiste notamment sur le fait que les chauffeurs avec qui AlloCab travaille n’obtiennent pas plus de 30 à 40% de leurs revenus de sa plateforme.

Source : Lesinrocks